Chroniques courtoises

Le plan Schuman et la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier 

– Organisation institutionnelle de la France et de l’UE – 

[L’Europe] ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.” Ces mots prononcés par Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, lors de la déclaration du 9 mai 1950 à Paris, inaugurent le point de départ d’une mutation majeure du paysage politique européen. 
En effet, cette déclaration a conduit à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) pour une période de 50 ans. Le traité de Paris du 6 avril 1951, instituant la CECA, est considéré comme un texte fondateur de l’Union européenne, créant un cadre institutionnel et économique à une Europe communautaire. Six ans avant la signature du traité de Rome instaurant les Communautés européennes, la CECA aura posé les bases d’une coopération à six, entre la France, l’Allemagne, l’Italie et le Benelux. 


Ce traité, élaboré par Jean Monnet, alors Commissaire Général du Plan, avait comme but initial la mise en commun des productions franco-allemandes de charbon et d’acier dans un contexte de reconstruction post Seconde Guerre mondiale. En effet, le lancement en masse de politiques de reconstruction a eu pour effet une surproduction de l’acier : la demande ralentissait, les prix baissaient. Une coordination européenne des productions sidérurgiques était donc vitale afin de contrer une crise imminente, entre 1948 et 1949, nécessitant des mesures ad hoc.  
La France était au centre des négociations, grâce aux politiques Schuman et Monnet, qui sont à l’origine du projet. La participation de ces deux hommes d’État français a créé un climat de confiance pour l’opinion publique et a ainsi placé la France en position de leadership au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de la France de Vichy.  
L’Allemagne de la Guerre Froide était alors déchirée entre les blocs Ouest et Est, et se trouvait dans une position stratégique vulnérable. À cet égard, la CECA était une opportunité unique de reconstruire un pays ravagé par la guerre, le plaçant au centre de la scène politico-économique européenne, notamment en consolidant les relations franco-allemandes. Sa réinsertion quasi-immédiate a donc permis d’éviter la répétition de l’humiliation subie lors du traité de Versailles en 1919. 
Cinq ans après la capitulation du IIIe Reich, la CECA a alors permis la réintégration pacifique de l’Allemagne post-nazisme dans un cadre démocratique. Parallèlement, l’Italie post-fasciste prit également la décision de signer le traité, avec un triple objectif. Tout d’abord, la CECA lui permettait de retrouver une certaine forme de légitimité sur le plan politique européen après les conséquences de la politique mussolinienne. Par ailleurs, le pays voyait dans un tel accord l’opportunité de résoudre certains problèmes traditionnels (main d’œuvre surabondante, retard du Mezzogiorno) et de moderniser son économie. Enfin, les politiciens italiens espéraient que la solidité apportée par le plan Schuman permettrait de simplifier la transition vers une démocratie républicaine (la monarchie étant abolie par référendum quelques années auparavant, en 1946) et consolider ses institutions naissantes. 
Les Pays-Bas quant à eux, ont vu dans la CECA un moyen de développer leur économie en tant que pays exportateur, tout comme la Belgique, un pays avec une industrie sidérurgique importante. Ces deux pays ont donc soutenu le développement d’une paix durable passant par une entente économique, remplaçant la compétition industrielle par une interdépendance et créant ainsi un climat de confiance mutuelle. Enfin, le Luxembourg joua un rôle particulièrement important, accueillant le siège provisoire de la CECA, plusieurs institutions telles que la Haute Autorité, le Conseil Spécial des Ministres et la Cour de Justice, et en devenant le berceau du système des Ecoles européennes, avec la première école en octobre 1953.   
En mettant en commun la production et la gestion du charbon et de l’acier sous une autorité supranationale, la CECA a ainsi permis de transformer une région au préalable marquée par des conflits, tout en renforçant le bloc occidental contre la menace soviétique.  
C’est dans cette optique que se devine le rôle des Etats-Unis, qui permit la réalisation de ce projet, notamment par le soutien économique apporté par le plan Marshall. Ce faisant, la superpuissance américaine solidifie une alliance avec l’Europe contre l’URSS et espère contrer le communisme par la mise en place d’un marché commun européen. La déclaration Schuman a ainsi été très bien accueillie par l’administration Truman, dont une des préoccupations majeures était la menace communiste, comme illustrée par la politique maccarthyste du ‘containment’. 
Ce traité régional s’inscrit donc dans un contexte plus large, dans un monde bipolarisé, avec des implications internationales. Cependant, nous nous focaliserons sur les caractéristiques européennes d’un traité qui préfigure l’Union européenne. 
Dans quelle mesure le plan Schuman marque-t-il une étape décisive dans la construction européenne ? 
Nous nous intéresserons en premier lieu à la vision de l’Europe élaborée par Schuman, les idéaux et les prémices de la CECA, pour aborder dans un second temps l’héritage laissé par cette communauté au sein de l’Union européenne, et enfin les limites du traité. 

Les prémices de l’Union européenne 

La Seconde Guerre mondiale a laissé l’Europe en ruines, tant sur le plan matériel qu’humain. Face à ce chaos, plusieurs voix se sont élevées pour proposer une nouvelle vision de l’Europe, fondée sur la coopération et l’unité, afin d’éviter un retour aux rivalités destructrices du passé. C’est dans ce contexte politique que s’élabore le plan Schuman.  

Parmi ces initiatives, deux événements majeurs ont marqué les débuts de la construction européenne : le discours de Winston Churchill à Zurich en 1946, qui a posé les bases idéologiques d’une Europe unie, et le Congrès de La Haye en 1948, qui a transformé ces idées en propositions concrètes.  

Lors de son discours, Winston Churchill a notamment appelé à la création d’une “famille européenne” capable de garantir la paix et la prospérité sur le continent. Il propose plusieurs idées telles que des “États-Unis européens” (une fédération européenne basée sur le modèle américain) et un Conseil européen (une organisation paneuropéenne favorisant la coopération entre les États). Il soutient également l’importance d’une réconciliation franco-allemande, indispensable pour reconstruire une Europe stable. Ce discours a inspiré les mouvements fédéralistes européens et encouragé les dirigeants du continent à envisager une coopération plus étroite. Initialement favorable à la création d’une Europe unie, Churchill s’opposera cependant en 1950 au plan Schuman. 

Caricature représentant Schuman en tant que chef d’orchestre des musiciens, qui sont les chefs des 6 gouvernements de la CECA. Churchill, le Premier Ministre britannique, est représenté de dos, refusant de jouer de son instrument et de participer.  

Deux ans après le discours de Zurich, du 7 au 10 mai 1948, se tint le Congrès de La Haye aux Pays-Bas, considéré aujourd’hui comme les “États généraux” européens, rassemblant près de 800 personnalités issues des milieux politiques, intellectuels et économiques pour discuter des moyens concrets d’unir l’Europe. Le Congrès aboutit à plusieurs avancées majeures parmi lesquelles comptent la création du Conseil Européen, l’élaboration de la Convention européenne des droits de l’homme, la fondation du Collège d’Europe ainsi que la promotion du centre européen de la culture). Cependant, le Congrès a également mis en lumière des divergences importantes entre deux visions opposées, les fédéralistes et les unionistes.  

Ainsi, si le discours de Churchill à Zurich a donné une impulsion idéologique forte au projet européen, c’est au Congrès de La Haye que cette vision a commencé à prendre forme grâce à des propositions concrètes et des débats structurés. Ces deux moments clés ont non seulement influencé la pensée européenne mais ont également préparé le terrain pour des projets comme le Plan Schuman et la création des premières institutions européennes.

La nécessité d’un rapprochement franco-allemand

Lors de son discours du 9 mai 1950, Robert Schuman déclare que “le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée”.  

Dès lors, le plan Schuman est devenu un symbole très fort des relations franco-allemandes dans l’Europe de l’après-guerre et le reste encore aujourd’hui. Intégrer la RFA (créée en 1949) et la rapprocher de la France est une priorité à cette époque. L’Allemagne, séparée en deux, se remettait petit à petit des effets dévastateurs de la guerre et du nazisme. Le bloc de l’Ouest, isolé politiquement et économiquement, cherchait à s’intégrer en Europe alors même que le “miracle économique” (Wirtschaftswunder) commençait à se manifester. La CECA a renforcé le bloc occidental face à la superpuissance soviétique, tout en évitant que le sort de la RFA repose exclusivement entre les mains des Américains et du plan Marshall avec une Europe plus unie et cohésive. Cependant l’essence économique du traité n’enlève rien à ses aboutissements géopolitiques. 

Traduction du texte en allemand en bas de l’image : 
La fierté de l’inventeur : Espérons que la chose se développera mieux que l’épingle de sûreté“.  
Après la déclaration du 9 mai 1950, le caricaturiste Pielert insiste sur l’importance du nouveau partenariat franco-allemand à la base du plan Schuman. “L’épingle de sûreté” en question est la ligne Maginot (en bas à gauche de l’image), construite entre 1928 et 1938 afin de protéger la France en cas d’attaque allemande, après les traumatismes de la Première Guerre mondiale.  

L’Union Européenne s’est ainsi construite sur une méthode de “petits pas”, ou méthode fonctionnaliste, c’est-à-dire d’abord par des traités à visée économique. La théorie avancée à l’époque par Schuman et Monnet est semblable à celle de l’effet “spillover” (développée plus tard par Ernst B. Haas) : l’intégration sectorielle par la création d’institutions supranationales permettrait une intégration plus étendue, dans des secteurs comme la politique.  

Et en effet, pour des ennemis héréditaires tel que le couple franco-allemand, une intégration politique était impérative. Ainsi, comme le proclame Schuman, une telle coopération rendrait de facto une guerre entre ces deux antagonistes “non seulement impensable mais matériellement impossible”, avec une co-dépendance importante, dans un secteur nécessaire à la guerre. En effet, le charbon et l’acier sont des matières qui symbolisent la volonté militaire d’un Etat. L’Europe a été ainsi construite “par le bas”. Inversement, la méthode “par le haut” aurait supposé la création d’une institution politique européenne, un projet peut être trop ambitieux si peu de temps après la guerre. 

Cette idée de réconciliation franco-allemande par le biais économique est prédominante dans le discours de Schuman : “Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d’intérêts indispensable à l’établissement d’une communauté économique qui introduit le ferment d’une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes”.  

Un côté, l’ami – Nous sommes des citoyens européens maintenant.” Caricature représentant le charbon (“coal”) et l’acier (“steel”) sautant par dessus des “trade barriers in Europe” ou “barrières commerciales en Europe”.    

Le Traité de Paris a ainsi réduit les tensions liées aux ressources stratégiques. Autrement dit, les intérêts nationaux ont été subordonnées à une institution supranationale. Considérant le passé partagé par ces deux nations, leur partenariat inauguré en 1951 est un acquis non négligeable. Ce discours reste un symbole fort des relations franco-allemandes et est commémoré chaque année le 9 mai lors de la Journée de l’Europe.   

Les héritages de la Communauté européenne du charbon et de l’acier : aux origines de l’Union européenne 

  1. L’héritage de la CECA dans les politiques actuelles de l’UE 

Bien que la CECA ait été abrogée en 2002, les héritages de ses différentes politiques et institutions demeurent ancrés dans les politiques actuelles de l’Union Européenne. 

Par exemple, toutes les innovations juridiques, telles que l’intégration d’une gouvernance supranationale, ou encore l’institution de la Cour de justice de l’Union européenne (CJEU), ont servi de modèle aux institutions européennes actuelles. En effet, l’adoption d’une approche supranationale est issue des politiques juridiques appliquées au sein de la CECA, même si celles-ci ont évolué depuis. 

Enfin, une des idées principales derrière le fondement de la CECA perdure : “s’unir pour protéger la paix”. Cet héritage politique semble dorénavant acquis, si bien que les citoyens européens peuvent avoir du mal à concevoir qu’il fut un temps où ce n’était pas le cas. Dès lors, l’héritage de la CECA structure profondément les politiques de l’UE. 

D’autre part, plusieurs principes du plan Schuman sont encore présents dans le fonctionnement de l’Union européenne, tel que “l’effet spillover” par le marché commun européen. Le partage de souveraineté, véritable limite pour l’adhésion des pays à la CECA, reste d’actualité avec l’UE : les pays membres acceptent de déléguer une partie de leur compétence aux institutions européennes. Enfin, l’UE continue d’utiliser la “politique du fait accompli” pour encourager ses Etats membres à une prise de décision rapide et efficace.  

  1. Un bloc uni face aux crises (crise écologique, Covid-19, États-Unis) 

Actuellement, l’Union européenne représente l’unité économique d’un continent, un bloc qui fait face aux diverses crises, impactant l’ensemble de la scène géopolitique internationale. 

L’une des valeurs de l’Union européenne est la lutte contre le changement climatique. Il est possible de considérer que la CECA a eu un impact sur les politiques énergétiques, car bien que cette Communauté soit centrée autour du charbon et de l’acier, c’est l’esprit de coopération transnationale qui influencerait les politiques énergétiques actuelles de l’UE. Aujourd’hui, l’UE cherche à transformer son secteur énergétique en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles, et en encourageant l’utilisation des énergies propres. 

Lors de la crise du Covid-19, on a pu observer la coordination des pays membres en ce qui concerne le soutien des systèmes de santé, l’obtention de vaccin et les moyens mis en place pour faire barrage à la propagation du virus. L’Union européenne était devenue le cadre d’actions sanitaires, car, selon les articles 4 et 168 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, celle-ci est censée avoir une “compétence partagée” avec les États membres sur les “enjeux communs de sécurité en matière de santé publique”. Elle a assuré une assistance médicale à des États membres mais aussi à des États tiers. Lors de la pandémie, l’Europe s’est donc montrée comme un espace de solidarité et de coopération, capable de développer des actions communes dans le domaine de la santé. En terme évolutif, l’Union Européenne a largement dépassé ses fonctions à l’origine économique, devenant influente dans les sphères culturelle, sociale et même sanitaire. 

Limites du traité 

  1. Absence du Royaume-Uni, symbole de la révolution industrielle 

Fortement attaché à la prise de décision individuelle et à la souveraineté nationale sur ses secteurs de production, le Royaume-Uni était réticent à l’idée de rejoindre la CECA, ce qui signifierait déléguer une partie de son contrôle à une autorité supranationale.  

De plus, le Royaume Uni était le premier producteur de charbon et d’acier, produisant à lui seul 37 % de la production des principaux pays producteurs en Europe. Il entretenait aussi des relations privilégiées avec ses anciennes colonies, faisant dorénavant partie du Commonwealth.  

Cet acteur aurait par conséquent été un allié inestimable pour les puissances européennes, mais pour ces mêmes raisons, la Grande Bretagne ne rejoint jamais la CECA, préférant garder son propre circuit traditionnel d’échanges commerciaux hors-Europe.  

Caricature représentant les 6 pays dans une sorte d’Arc de Noé, sauvés de la tempête. Le lion de Grande Bretagne reste seul sous la pluie.  

Quelques jours avant la révélation du projet, le Ministre des Affaires Étrangères britannique Ernest Bevin est informé du plan Schuman et il exprime directement des réticences à cette idée, malgré la position plus ouverte du Premier Ministre Attlee. La Haute Autorité est perçue comme une menace : le Royaume Uni, possédant un statut d’hégémonie dans la sidérurgie depuis la révolution industrielle, voulait un traitement différentiel en sa faveur, condition sine qua non à sa participation. Lorsque Churchill reprend ses fonctions de Premier ministre britannique en octobre 1951, il s’oppose lui aussi au plan Schuman.  

Ce n’est qu’en 1973 que le Royaume Uni finit par rejoindre la CEE, pour finalement se retirer de l’Union Européenne 47 ans plus tard, en 2020. Ces hésitations dénotent bien du caractère individualiste d’un territoire géographiquement isolé de l’Europe.  

Cependant, il est également important de noter que l’euroscepticisme existe également en France. Le mouvement ‘Frexit’, bien que bien moins influent qu’en Grande Bretagne, a surgit au milieu de la politique pro-Brexit. S’il a presque totalement été abandonné dans les récents programmes politiques, il pourrait bien remettre en question toute l’Union Européenne, la France étant un des 6 pays fondateurs de cette communauté depuis 1950, et témoigne de la fragilité d’une telle construction politique, mise au défi constant de l’opinion publique. 

  1. Le défi de l’opinion publique 

Lors de la création de la CECA en 1951, l’opinion publique française y était majoritairement favorable, notamment les élites politiques anticommunistes. Le fait que le Traité ait été pensé et rédigé par des figures politiques françaises influentes a également rendu le plan Schuman très avantageux, permettant à la France de rayonner sur le plan économique et politique.  

Journal britannique Daily Herald du 10 mai 1950 (au lendemain de la déclaration Schuman), “La France surprend les nations”

Malgré cela, de la peur persistait du côté des travailleurs, qui craignaient une forme de ‘dumping social’ entre les pays. Pour éviter cela, la CECA a associé au libéralisme du projet du marché commun une forme de protection sociale, avec plusieurs mesures. Par exemple, le Traité interdisait formellement la baisse des salaires comme moyen de concurrence entre les Etats membres ou comme forme de discrimination, répondant aux craintes syndicales. De plus, la CECA a financé la construction de 112 500 logements sociaux et a encouragé les syndicalistes à prendre part aux discussions et débats avec leurs employeurs au sein des institutions. Lorsque l’industrie sidérurgique rencontre des difficultés économiques dans les années 1960-1970, la CECA a contribué à la réadaptation de travailleurs, en prenant en charge une partie des frais liés à leur reconversion professionnelle.  

Similairement, en Allemagne, l’opinion publique a bien accueilli ce projet qui promettait d’apporter une paix durable dans une Europe d’après-guerre, malgré la peur d’une perte de contrôle de l’industrie sidérurgique. La CECA était perçue comme une sorte de rempart à la remilitarisation future du pays. Il existait également des dissidents du traité en RFA : le parti social-démocrate (SPD) s’est opposé au plan Schuman par peur d’un approfondissement de la division entre les blocs Ouest et Est. De fait, l’opinion publique, à la fois dans les cercles politiques et auprès des citoyens, présente un défi majeur pour la construction européenne, et ce d’autant plus considérant le contexte géopolitique fragile dans lequel elle s’insère.  

  1. Un contexte géopolitique fragile 

Dans le contexte de la Guerre Froide, le Traité repose sur un consensus politique fragile basé sur un respect mutuel et la déférence envers la Haute Autorité. Cela est remis en question par le retour au pouvoir de Charles De Gaulle en 1958. A l’instar de la politique britannique, celui-ci rejetait le caractère supranational de la CECA. Malgré son soutien pour la construction d’une communauté européenne, il considérait cette institution comme mal adaptée pour les intérêts français, et se méfiait de l’influence américaine trop présente.  

Préférant une “Europe des Nations”, Charles De Gaulle propose en 1961 le plan Fouchet. Ce projet vise à établir une communauté européenne basée sur des alliances intergouvernementales, en opposition avec le caractère supranational de la CECA. Finalement, le plan échoue en 1962, montrant les différences entre la vision gaullienne et les autres dirigeants européens, certains craignant une domination des grandes puissances sans la présence d’institutions plus ou moins neutres.  

D’autre part, dans ce contexte géopolitique, la CECA n’atteint pas pleinement ses objectifs. Les disparités économiques persistent, notamment entre le Nord industrialisé et le Sud moins développé. Par exemple, en Italie, la question du Mezzogiorno (le Midi, région sud peu développée d’Italie) n’a pas été résolue, et malgré les différentes aides financières et investissements industriels de la CECA, cette région reste en difficulté jusqu’à aujourd’hui.  

Ainsi le Traité de Paris, s’il instaure les fondements des institutions européennes telles que nous les connaissons, a dû faire face à de nombreuses limites telles que les réticences des dirigeants européens ou la crainte des syndicalistes. 

Conclusion

Le plan Schuman du 9 mai 1950 constitue l’un des jalons fondateurs de la construction européenne. En proposant la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), Robert Schuman a initié un processus de coopération économique entre les pays européens, fondé sur la gestion commune de ressources stratégiques (le charbon et l’acier). Cette démarche visait avant tout à éviter de nouveaux conflits entre la France et l’Allemagne, en posant les bases d’une solidarité économique durable. 

La CECA a permis, en effet, de surpasser les rivalités nationales en instaurant une autorité supranationale capable de gérer les ressources communes, renforçant la coopération entre les pays membres. En plaçant les secteurs clés de l’économie sous une gestion partagée, la CECA a introduit un modèle de coopération européenne qui a servi de référence pour les étapes prochaines du projet européen, marquées par la signature du traité de Rome en 1957 et la création de la Communauté Économique Européenne (CEE). 

Ainsi, à travers la CECA, le plan Schuman a non seulement favorisé la réconciliation entre des nations historiquement en guerre, mais a aussi tracé la voie vers l’intégration économique et politique de l’Europe. En ouvrant la voie à une coopération intergouvernementale, le plan Schuman a été l’un des premiers pas vers une union européenne plus unifiée, reposant sur des principes de solidarité et d’intégration, et a progressivement conduit à l’édification de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le 23 juillet 2002, soit 50 ans après son entrée en vigueur, le traité de la CECA expire comme prévu. Les compétences de la CECA sont transférées à l’Union européenne et son solde est attribué à un fonds de recherche pour le charbon et l’acier.